Cotonou, le 14 Décembre 2017
Le Premier Secrétaire
A
Madame Michaëlle JEAN
Secrétaire Générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), en visite au Bénin.

Objet : Lettre ouverte

Madame la Secrétaire Générale,
C’est le cœur serré et avec beaucoup de peine que je vous adresse cette lettre. En effet depuis hier 13 Décembre 2017, vous foulez le sol de notre pays, le Bénin, terre d’Origine de l’Illustre Toussaint Louverture, le premier, dans l’Histoire à faire une guerre d’Etat contre la France esclavagiste et l’avoir vaincue ! C’est dire que vous devriez être accueillie en tant que fille du pays, vous canadienne d’origine haïtienne. Je serais tenté de dire « Bonne arrivée ! Vous êtes chez vous au Bénin ! »
Mais malheureusement ! Malheureusement ! Pour une double raison, deux boulets pèsent à vos pieds et font que vous n’êtes pas la bienvenue en terre de Béhanzin, Kaba, Bio Guèra.

Vous avez déjà été reçue par le Chef de l’Etat ce 14 décembre, vous irez présenter un discours à l’Assemblée nationale, etc.
Tout cela ne dit rien à notre peuple et hormis des sourires protocolaires et diplomatiques des officiels de l’Etat, vous n’êtes pas vraiment la bienvenue au Bénin.
Les deux raisons qui plombent votre visite en terre béninoise s’énoncent ainsi qu’il suit : La première c’est l’Organisation que vous dirigez et que vous représentez et pour laquelle vous vous évertuez à vous faire réélire. La deuxième, c’est vos propres comportements à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
Madame la Secrétaire Générale,
Première raison :
Les peuples en Afrique ont subi deux sortes d’esclavages : la traite négrière et la colonisation. Je ne m’attarderai pas sur la traite négrière. Je dirai simplement que ce qui caractérise l’esclave c’est que son propriétaire en l’achetant lui enlève son nom et lui donne un nom d’esclave, lui enlève sa langue et sa croyance pour le transformer en un autre personnage. La colonisation n’a pas une autre logique : le colonisateur occupe vos terres, vous enlève vos croyances taxées de diaboliques et surtout vous impose sa langue et sa monnaie ; ainsi il fait de vous un peuple esclave sur son propre sol. Telle est l’essence de la francophonie, telle est et demeure actuellement la francophonie dans son contenu. Trouvez-vous normal, Madame la Secrétaire Générale, qu’un peuple pour accéder à la science soit contraint de passer par le canal d’une langue étrangère ? Connaissez-vous au monde un pays, un peuple, (je ne parle pas des individus) qui se soit développé en utilisant la langue d’autrui ? En quelles langues s’instruisent les petits Serbes, Croates, Anglais, Français, Slovènes, Chinois, Coréens, Lituaniens ? Pourquoi l’Afrique peut-elle être le seul continent où les peuples doivent, pour s’instruire, utiliser les langues étrangères ? La pensée profonde d’un individu ne s’exprime que dans sa langue, dit-on. Vous êtes-vous jamais posé de tels questionnements épistémologiques ? Vous êtes-vous jamais posé la question de l’évaluation du massacre que constitue pour le cerveau de nos jeunes enfants, l’obligation de converser dès la sortie de la maison, en une langue étrangère ? Avez-vous jamais évalué la violence et la déformation que cela constitue sur ces jeunes cerveaux pour le reste de leur existence ?
Madame la Secrétaire Générale,
Pourtant l’Organisation des Nations Unies et notamment l’UNESCO, le Conseil des Droits de l’Homme ont, à maintes reprises, affirmé la nécessité de l’accès de tous à l’instruction dans leurs langues maternelles. Des instruments internationaux tels « La Déclaration de principe », « le Plan d’Action » ont été adoptés à Genève en 2003 ainsi que « l’Engagement » et « l’Agenda » de Tunis de novembre 2005 en sont des illustrations incontestables. Malgré cela la Francophonie organise, je dis bien, organise au Bénin le sabotage de ces recommandations internationales des droits de l’homme en matière de l’instruction de nos enfants en langues maternelles par le fameux programme « ELAN ».
C’est le lieu de vous dire ici, Madame la Secrétaire Générale de la Francophonie, que la déclaration du président Macron à Ouagadougou selon laquelle le français « c’est notre langue » est une injure ! La langue française est une belle langue, je ne peux le nier ; mais c’est la langue du peuple français. Ce n’est pas une langue béninoise. Quiconque soutient le contraire est un esclavagiste, car la langue conditionne la pensée et la pensée distingue l’homme de l’animal. Le français n’est parlé au Bénin que par le fait de la colonisation, par la force des armes.
Il s’impose ainsi l’urgence de mettre fin à l’illégalité internationale au Bénin en décidant hic et nunc de l’instruction de nos enfants en les langues maternelles ; en décidant de faire de nos langues nationales, des langues d’administration et de justice. C’est la seule manière de rénover la francophonie et de faire d’elle non une francophonie coloniale, mais une francophonie des peuples égaux unis par le hasard de l’histoire, telle que la position du Vietnam par exemple dans cette institution aujourd’hui l’enseigne.
La deuxième raison :
Madame la Secrétaire Générale, le deuxième boulet qui empêche que vous soyez la bienvenue au Bénin, c’est vos propres comportements.
Le dernier comportement en date est votre implication dans le « limogeage » de l’économiste togolais Kako NUBUKPO de son poste de Directeur de la Francophonie Numérique » et ceci pour avoir critiqué les propos injurieux du Président français MACRON à Ouagadougou.
Mon compatriote, Victor TOPANOU dans son ‘’post’’ d’hier a écrit qu’avec ce comportement, vous constituez « la honte des Noirs ». Je n’irai pas jusque-là. Car il ne s’agit pas d’un problème de peau. Mais son expression décrit justement la déception ressentie par nous les « esclaves monétaires » africains face à ce limogeage inacceptable. Je reprends son interrogation « Comment pouvez-vous en plein 21ème siècle alors que les peuples du monde entier en particulier les peuples d’Afrique aspirent à toujours plus de liberté et de dignité, comment pouvez-vous, Secrétaire Générale de l’OIF, Canadienne d’origine haïtienne et peut-être encore plus loin, d’origine béninoise comment pouvez-vous limoger en violation flagrante de toutes dispositions réglementaires de votre Institution, un Noir, Monsieur Kako NUBUKPO, Directeur de la francophonie Numérique pour délit d’opinion ? »
Et ceci parce qu’il critique l’existence du franc CFA ! Ainsi vous vous constituez un ardent défenseur d’une monnaie esclavagiste !
Cela est inacceptable pour nous Africains et surtout venant de la part de vous que nous pouvons considérer comme des nôtres.
Vous revêtant de la peau d’esclavagiste tant linguistique que monétaire vous êtes mal venue en terre africaine du Bénin.
C’est donc avec regret, que je vous prie de recevoir Madame la Secrétaire Générale, l’expression de mes sentiments distingués.

 

Philippe NOUDJENOUME
Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin.
Président de la Convention Patriotique des Forces de Gauche

Note : Cliquer ici pour télécharger l'intégralité de la lettre ouverte

 

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