PATAL ET SON COTON

Tout commence en 2011, quand les autorités béninoises sont alertées par les rendements décevants de la filière coton, malgré des investissements colossaux (92 milliards de FCFA, soit plus de 140 millions d’euros) engagés depuis 2006 par le Gouvernement. Le genre d’alerte qui ne passe pas inaperçue dans un pays où le coton représente à la fois 45 % des rentrées fiscales, 80 % des recettes d’exportations, 13 % du PIB et 60 % du tissu industriel.

Or, Patrice Talon est un acteur incontournable du coton béninois depuis le milieu des années 80 et plus encore dans les années 90, où il prend le contrôle de l’Association interprofessionnelle du coton (AIC) et met la main sur le crucial « Comité de contrôle de gestion de la centrale de sécurisation de paiement et de recouvrement » (CSPR) dont il devient le président. Il étend son emprise aux intrants de la filière (graines, engrais, insecticides) au cours des années 2000 en s’emparant de la Société Nationale de Promotion Agricole (SONAPRA) et acquiert dans le même temps plusieurs usines d’égrenages.
Dans le même temps, au cours de l’année 2011, des signaux commencent d’affluer de tout le Bénin faisant état de la pénurie d’intrants dans les circuits de la filière agricole. C’est dans ce contexte que le Président de la République, Thomas Boni Yayi, et son Gouvernement, commandent une série d’audits auprès des corps d’inspection de l’Etat pour comprendre les causes du décrochage de la filière. Les conclusions, accablantes, dessinent un véritable système organisé de corruption, de détournement de fonds et de spoliation de la richesse nationale, le coton, à l’échelle du pays tout entier et au centre duquel se trouve le richissime homme d’affaire béninois

Le rapport de la commission d’enquête a mis en lumière un dispositif de fraude visant à sous-estimer la production nationale de coton, causant pour la seule campagne 2011 / 2012 un préjudice d’environ 20 milliards de FCFA (plus de 30 millions €). L’enquête sur l’utilisation des subventions d’Etat au soutien des producteurs de la filière coton estime quant à elle que près de 14 milliards de FCFA (plus de 21 millions €) pour la seule période 2008 / 2012 ont été frauduleusement encaissés.

Enfin, en mai 2011, la société Bénin Control, dont Patrice Talon est le président du Conseil d’administration, éjecte la société suisse SGS avec laquelle elle a remporté le marché public —pharaonique— portant sur le Programme de Vérification des Importations (PVI) au port de Cotonou.

C’est dans ces conditions que l’Etat du Bénin a été amené à déposer plusieurs plaintes au premier semestre 2012. Le 7 mai, trois plaintes sont déposées, deux à l’initiative du Ministère de l’agriculture contre l’Association Interprofessionnelle de Coton (AIC) et une à celle de producteurs de coton pour « détournement de coton » et « détournement de subventions publiques ».

Puis à nouveau, le 20 septembre 2012, une nouvelle plainte est déposée à l’initiative des services de douane contre la société Bénin Control SA, dans le cadre de laquelle Patrice Talon aurait perçu frauduleusement d’importantes sommes d’argent liquide.

De la cavale à la tentative d’empoisonnement

Déjà, à l’occasion de ces premières plaintes, Patrice Talon est placé en garde à vue où il est entendu à plusieurs reprises. Et c’est dans les jours qui ont suivi que, pour tenter d’échapper à l’étau judiciaire, l’homme d’affaire s’est frayé un chemin hors du Bénin, partant d’abord vers les Seychelles, l’Allemagne, avant de se réfugier finalement à son domicile parisien.
La cavale n’interrompt pas pour autant le travail de la justice qui est saisie de nouvelles plaintes : le 30 novembre à l’initiative du Ministère de l’Economie contre Patrice Talon, toujours concernant Bénin Control, pour manœuvres frauduleuses ; puis à nouveau le 25 janvier 2013 à l’initiative des douanes béninoises contre Bénin Control pour avoir détourné à son profit des sommes revenant à la Caisse centre de la Recette des Douanes ; puis enfin, le 31 janvier 2013, contre Patrice Talon et Bénin Control conjointement, pour escroquerie.

« Tentative d’assassinat et association de malfaiteurs »

C’est une fois arrivé à Paris qu’il aurait commencé d’échafauder la tentative d’empoisonnement du Président dont il est aujourd’hui accusé. A cette fin, il aurait fait substituer aux médicaments habituellement pris par le chef de l’Etat une substance mortifère, le tout dans leur emballage d’origine. Pour cela, Patrice Talon aurait suivi les déplacements officiels de la délégation béninoise, notamment à New York, au cours de l’assemblée générale des Nations Unies en septembre 2012, puis à Bruxelles le 17 octobre 2012. Au cours de ce dernier déplacement il aurait corrompu Ibrahim Mama Cisse, médecin personnel du Chef de l’Etat, ainsi que Zoubérath Kora qui n’est autre que la nièce du Président et son assistante personnelle, à qui il aurait versé 2 milliards de francs CFA.

Les produits toxiques aurait été remis par Patrice Talon à un intermédiaire, Moudjaidou Soumanou, qui les aurait fait parvenir d’Europe à Mama Cisse par un vol du 19 octobre, ce dernier les confiant enfin à Madame Kora, qui devait les administrer au Chef de l’Etat le samedi 20 octobre 2012. Ces trois personnes ont reconnu devant le juge d’instruction béninois avoir participé à la tentative d’assassinat et sont actuellement détenues au Bénin.

Malgré des moyens considérables déployés et des complicités importantes dans l’entourage proche du Chef de l’Etat, la tentative d’assassinat est fort heureusement déjouée au dernier moment.

Les aveux spontanés recueillis par les enquêteurs, réitérés devant le juge d’instruction, non contestés et non remis en cause depuis, ont conduit à l’inculpation de deux autres individus de nationalité béninoise, dont M. Patrice Talon. Les autorités béninoises ont, le 22 octobre 2012, délivré un mandat d’arrêt international à son encontre pour association de malfaiteurs et de tentative d’assassinat et le 5 novembre 2012 les autorités françaises étaient rendues destinataires d’une commission rogatoire et d’un mandat d’arrêt international. Le 6 décembre 2012, la police française mettait fin à la cavale de Patrice Talon en l’interpellant. Il était ensuite placé sous contrôle judiciaire. Le 7 décembre 2012, les autorités béninoises adressaient au Gouvernement français une demande d’extradition.

Tandis que la demande d’extradition est actuellement instruite par les autorités françaises, Patrice Talon tente de masquer toutes ses malversations financières par une diversion bien grossière, mais orchestrée avec vigueur : celle d’une supposée vengeance du Président Boni Yayi, qui lui aurait demandé de corrompre des hommes politiques pour modifier la constitution, lui permettant ainsi d’enchainer sur un troisième mandat.

Pourtant, dès son discours d’investiture de second mandat, le Président Boni Yayi s’est engagé publiquement à ne pas modifier la constitution pour solliciter un troisième mandat, un engagement réaffirmé maintes et maintes fois depuis : citons notamment la dernière rencontre avec le Pape Benoit XVI en novembre 2012, lors de ses vœux en début d’année 2013 et puis tout récemment lors de sa conférence de presse du 7 février à Paris, au lendemain de son déjeuner de travail avec François Hollande au sujet de la crise malienne.

En outre, le Président Boni Yayi a demandé à ce que l’Assemblée adopte sur son initiative une disposition visant à exclure du champ du référendum cette question du mandat présidentiel, chose acquise depuis la loi du 18 janvier 2012. Concrètement, seule une majorité qualifiée des 4/5ème des députés rendrait désormais une telle modification constitutionnelle éventuellement possible. Autrement dit, la défense de Patrice Talon résiste bien mal à l’épreuve des faits. Par ailleurs, si les opposants et partisans de Boni Yayi peuvent se battre sur les choix politiques du Gouvernement, la démocratie et l’Etat de droit sont bel et bien ancrés au Bénin, depuis l’entrée en vigueur de la constitution de 1990 et renforcés depuis, notamment à l’initiative de Boni Yayi qui a par exemple aboli la peine de mort et modernisé le code électoral béninois.

En vérité, les faits qui sont reprochés à Patrice Talon relèvent tout bonnement du droit pénal commun. La procédure d’extradition en cours d’instruction permettrait à la justice béninoise de faire son travail et à la filière coton de retrouver un peu de sérénité, le tout, in fine, dans l’intérêt des Béninois.

 

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