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Les associations soussignées, en leurs représentants et délégués, se sont penchées sur la situation sociale du Bénin, en ce 1er Août 2010. La présente déclaration est le produit de leurs réflexions et analyses.

Porto-Novo, le 1er août 2010. Devant une dizaine de Chefs d’Etat africains et de nombreux représentants étrangers, en présence du Président de la République, des millions de béninoises et béninois, présents sur les lieux ou devant leurs postes de télévision, assistent à l’interruption lamentable de la sonorisation au moyen de laquelle les majorettes offrent en ouverture du défilé militaire et civil de la fête nationale, un spectacle original à nos hôtes. Interruption non corrigée dans les instants qui ont suivi, crainte, panique et honte dans l’esprit, peut-être des organisateurs, mais surtout des citoyens.

Fait anodin sans doute, mais fait symptomatique du Bénin, après 50 ans d’accession à la souveraineté internationale.

Pourrait-on être autrement surpris lorsque l’on considère l’ambiance d’impréparation et d’inorganisation pathologiques de ces festivités ; lorsque l’on rapporte tout cela au fait que notre pays se trouve dans le creux de la vague avec la crise enclenchée par l’affaire dite ICC-Services et consorts?

En ce 1er Août 2010, la République du Bénin, notre pays, ne présente guère une image reluisante, digne des lustres attendus de ses 50 ans.

L’organisation fastueuse du cinquantenaire cache difficilement l’actualité des scandales qui ne sont que l’illustration, malheureusement partielle, de l’état réel de notre pays.

Et la question bouscule la conscience de tous nos compatriotes, soucieux du développement de ce pays, en dépit de la gaieté passagère de toute festivité : qu’avons-nous fait de nos cinquante années d’indépendance ? Méritons-nous de nous réjouir du chemin parcouru ?

Si l’on s’en tient aux événements récents, la décence nous aurait invités à rester derrière le rideau. Parce que le Bénin va très mal.

L’affaire ICC-Services et consorts n’est que le reflet de l’état d’une société sans règles et sans direction. Une société dont les dirigeants sont pris en otage, soit par une mafia religieuse, soit par la religion de la mafia. Une société où l’argent est élevé au rang de valeur, et le pouvoir exercé sans humilité.

Notre pays va très mal et a fini, dans la dérive, par toucher le fond. Les restrictions des libertés passent dans la banalité. Le peu de cas fait au mérite, la promotion de la médiocrité, la gouvernance par voie d’ordonnances, l’instrumentalisation des jeunes et des femmes ainsi que celle de prétendues autorités traditionnelles ou religieuses constituent les indices d’une déchéance longtemps annoncée.

Que dans un pays, l’une des plus hautes autorités judiciaires de l’Etat soit en détention préventive, et plusieurs ministres menacés de poursuites devant la Haute cour de justice ; que l’un des plus importants ministres du Gouvernement, celui en charge des Finances, se fût trouvé obligé de dénier sa signature à la télévision nationale sans qu’il soit placé en disponibilité en vue d’un règlement impartial par voie de justice ni qu’un recours y fût adressé, ne constituent guère les lauriers d’une prétendue vitalité de l’Etat de droit, mais la réalité d’un encadrement mafieux des institutions de notre pays.

Les causes de cette traversée multidimensionnelle du désert devront cependant être recherchées avec perspicacité. A l’analyse, il semble bien que notre société soit en train de solder une triple absence :

- l’absence de l’Etat,

- l’absence du droit,

- l’absence de la justice.

Ce n’est point parce que le Droit, l’Etat, ou la Justice n’existent pas. Mais la situation sociale donne à penser qu’ils ne sont pas présents, qu’ils ne sont pas effectifs. Lorsque l’on y ajoute la perte des valeurs et des repères qui fondent notre société, on comprend mieux la profondeur de l’abîme dans lequel nous avons chuté. On mesure aussi mieux les efforts et les choix qui nous attendent.


I – L’absence de l’Etat.

Un chroniqueur de la télévision brésilienne disait, il y a peu : « plus un dirigeant est médiocre, plus il méprise l’intelligence et la culture et se transforme en une île entourée de médiocres ». Gageons que notre pays ne relève de ce cas de figure.

Notre pays a plutôt semblé en manque d’Etat ; non que les institutions n’aient pas été réelles, mais que, ces dernières années, elles eussent manqué de prise sur les faits et de présence dans les actes.

On a déjà observé, à certains égards, l’abdication, par certaines institutions de contrepouvoirs, de leurs prérogatives. C’est le cas, pour s’en tenir à ce seul exemple, de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), qui a renoncé, non seulement à attribuer les ondes sans l’avis conforme du gouvernement, mais encore à présenter à nomination à la tête des organes publics de médias, des candidatures qu’elle a pourtant sélectionnées au moyen d’un test objectif.

L’absence de l’Etat, c’est l’encouragement à la violation des règles de la hiérarchie administrative, avec la complicité des plus hautes autorités. Lorsque des agents d’exécution tiennent leurs instructions directement des autorités supérieures à leurs chefs, qu’ils assurent, sur instruction des autorités suprêmes, le contrôle de leurs chefs ; lorsque, dans un Etat tel que le Bénin, des directeurs de cabinet ou des plantons sont plus puissants que les titulaires des départements ; que de simples agents arrivent à dénoncer publiquement leur chef en présence du Chef de l’Etat avec l’écoute de ce dernier, c’est, avec l’administration, l’Etat qui disparaît.

L’absence d’Etat, c’est l’ignorance avouée de toute une administration _notamment, celle des finances et des comptes de l’Etat, celle en charge de l’intérieur et de la sécurité, celle de la défense_ de l’existence de structures aussi bien obscures qu’illégales, qui escroquent les citoyens et assistent, voire, financent des émanations de l’Etat (mairies, police et gendarmerie, etc.) ou marches et manifestations diverses de soutien politique à l’Exécutif.

L’absence de l’Etat, c’est aussi l’encerclement des sphères de décisions par les religieux ou les chefferies, la mafia financière, la famille. Lorsque l’argent, la foi et le sang se coalisent, l’escroquerie n’est pas loin, et ICC-Services et consorts peut prospérer. Lorsque l’administration devient un lieu de culte, que la laïcité de l’Etat est mise en péril, l’Etat n’est plus présent : il prie, il compte la fortune de ses représentants, il entretient les liens familiaux ou mafieux. Comment pourra-t-il, dans ces conditions, réaliser la nuisible présence et les actions de ICC-Services et consorts ?

L’absence de l’Etat, enfin, c’est la dilution de la responsabilité. Lorsque le chef de famille vient surprendre le gardien commis à la surveillance en sommeil, la sagesse commande à celui-ci, non de prétendre qu’il ne dormait point, mais qu’il a été surpris par la fatigue. L’affaire dite ICC-Services et consorts est la ruine de la responsabilité de l’Etat. Plus personne ne connaît les responsables de cette structure. Plus personne n’a signé ni document, ni autorisation. L’Etat n’est pas responsable parce que ces représentants ne veulent pas assumer leur part de complicité. L’Etat est absent, lorsque des structures associatives arrivent à collecter sans être inquiétées, plusieurs milliards de francs, en dépit des règles en vigueur en matière de droit des sociétés, ainsi que les règles communautaires inspirées de l’UEMOA et de la BCEAO suivant lesquelles les sociétés habilitées à procéder à la collecte de l’épargne sont les banques constituées sous la forme de société anonyme faisant appel public à l’épargne, avec un montant précis de capital social. Aujourd’hui, les plus hautes personnalités de l’Etat, ne reconnaissent que la responsabilité des citoyens qui ont confié leur fortune aux structures illégales que l’on a pourtant laissé opérer pendant quatre ans.

L’Etat est absent, surtout, lorsque, un maire, ancien chef des services des renseignements généraux, élève au rang de chargé de mission, l’un des responsables d’ICC-Services, et ne semble rien savoir des activités d’ICC-Services.

L’affaire ICC Services et consorts est révélatrice de cette absence de l’Etat, sur le lit duquel se construisent les groupes mafieux qui finissent par confisquer le pouvoir. L’Etat, considéré comme la représentation du corps social, doit assurer et assumer une présence, jamais prise au dépourvu, au service de la sécurité et de la satisfaction des besoins vitaux des membres de la communauté.

L’Etat est absent, et, avec lui, le droit.


II – L’absence du droit

Le droit, dans notre pays, est au bout de toutes les lèvres, mais constitue le parent pauvre des règles de conduite. Le droit est isolé, piétiné, ou, à tout le moins, manipulé. Il est au service de l’iniquité. Il prive, conduit en prison si tel est le vœu du prince, et refuse la liberté, si telle est également sa volonté. L’actualité sociale éloigne notre pays des horizons d’un Etat de droit. Nous sommes au plus près d’un Etat du vouloir du prince. Si des hommes et des femmes se mettent au service des intérêts qui ruinent notre société, c’est avec, parfois, le renfort du droit.
Le droit est évincé aux dépens des plus faibles. Il est appelé au renfort des plus forts.
Les activités de ICC-Services et consorts constituent, malheureusement, une illustration de cette situation. Une escroquerie aussi importante quant à son montant, aussi large quant aux victimes, aussi étendue dans sa durée, n’a pu prospérer sans une élision du droit.
Mais l’absence du droit n’est pas sans rapport avec celle de la Justice.

III – L’absence de justice.
La justice est de plus en plus écartée du débat social, des scandales politiques et économiques.
L’affaire dite des « machines agricoles » sur laquelle d’éprouvantes discussions à la moralité publique eurent lieu à l’Assemblée nationale et dans les médias n’a pas connu la suite judiciaire attendue par les citoyens et l’ensemble des contribuables. Celle relative à l’organisation du sommet de la CEN-SAD connut le même sort, si ce n’est, à l’occasion de l’affaire dite ICC-Services et consorts, de la saisine de l’Assemblée Nationale aux fins de la procédure de mise en accusation devant la Haute Cour de Justice.
La Justice est écartée lorsque, même saisie, elle est mise sous pression, et évolue au rythme que lui impose le pouvoir exécutif.
La justice est absente, lorsque même saisie, des commissions administratives parallèles prospèrent, et, en contradiction évidente avec la loi, accomplissent des actes qui relèvent des juridictions d’instructions compétentes. Faut-il souligner, que dans l’affaire dite ICC-Services et consorts, une procédure est ouverte au 1er cabinet d’instruction de Cotonou et qu’une autre, relative à la même cause et concernant un magistrat, est engagée devant la Cour suprême ?

Or, lorsqu’une instruction est ouverte, tous les actes à accomplir dans le cadre d’une affaire pénale sont ordonnés par le juge saisi. Dans le cas de l’affaire visée, c’est une commission administrative, à laquelle on joint un substitut du procureur, qui interpelle, interroge, saisit. Elle accomplit des actes de privation de droit et de liberté. Le pouvoir politique qui est mis en cause ne saurait conduire sans partialité des enquêtes dans un scandale aussi grave. L’arbitraire en rajoute à la fébrilité ambiante, au tort du droit et de la justice. Lorsque le droit et la justice sont menacés, l’impunité s’installe et l’Etat devient une jungle.
Or, comme disait le Professeur Albert TEVEODJRE à l’issue de la Conférence nationale des forces vives de février 1990, « quand l’intelligence déserte le forum, la médiocrité s’installe et tout finit en dictatures ».
Tout ce qui précède n’est que la consécration de la perte des valeurs et des repères.


IV – La perte des valeurs et des repères.
Cela a déjà été relevé[1], il faut le réitérer : « le contexte social aujourd’hui est fortement marqué par la perte des repères et des valeurs.
On a l’impression que le Bénin n’a pas encore fait le deuil de ses figures importantes : Le Cardinal Bernardin GANTIN et Monseigneur Isidore de SOUZA. Les personnalités capables d’influencer les acteurs en exercice, tels que les anciens Présidents de la République (Nicéphore D. SOGLO, Mathieu KEREKOU et Emile D. ZINSOU) ne prennent pas assez d’initiatives ou ne paraissent pas avoir le recul et la hauteur suffisants pour inspirer confiance à tous. Il en est ainsi de certaines autres personnalités qui occupent des fonctions institutionnelles, certes importantes, mais partisanes. L’encasernement institutionnel de ces personnalités les confine dans une attitude de passivité nuisible aussi bien à l’expérience qu’à l’espérance démocratiques. »

Le discours politique manque de loyauté, d’élégance, de respect de la dignité humaine et de la société. Le plus désastreux, c’est qu’au mépris de ces valeurs, de jeunes nervis, et d’autres, malheureusement dépositaires de nos traditions, sont instrumentalisés et outrageusement financés pour terroriser ; pour ériger le mensonge en règle et les injures gratuites en phénomène de mode.

Notre pays se présente, au plan des valeurs morales, comme un vaste enclos ouvert de toutes parts, et d’où sont absents ceux qui sont élus par le suffrage des âges pour requérir la fermeture des portes et fenêtre, et éviter l’entrée des vents malsains.

La religion de l’argent gagne la jeunesse. Les cybercafés deviennent les lieux de la cybercriminalité. Le travail ne constitue plus une valeur. C’est le gain facile, au moyen de financements occultes. Des familles abdiquent également leur rôle d’éducation et recèlent les produits des fraudes commises.

Conclusion
Les signaux de la gouvernance économique et sociale de notre pays ne sont guère reluisants. Nous n’avons jamais été confrontés avec autant de trivialité à nos propres putréfactions. Mais l’objet qui touche le fond de la cuvette ne peut que remonter. Il faut se nourrir donc d’espoir. Mais cela dépend de la place que nous aurons accordée, dans les débats qui nous occupent déjà, au travail, à la patrie et au mérite.
Enfants du Bénin, debout !

Cotonou, le 1er Août 2010.

Ont signé pour:

- L’Association de Lutte contre le Racisme, l’Ethnocentrisme et le Régionalisme (ALCRER-ONG), Martin ASSOGBA

- Nouvelle Ethique, Joël ATAYI-GUEDEGBE

- Le Centre Afrika Obota (CAO-Bénin), Urbain AMEGBEDJI

- L’ONG Droits De l’Homme, Paix & Développement (DHPD-ONG), Joseph DJOGBENOU

- Transparence & Integrite Au Benin (TI-Bénin), René Nicéphore AVOGNON

- Le Front des Organisations Nationales de lutte contre la Corruption (FONAC), Maximilien SOSSOU-GLOH

- West African Network for Peacebuilding (WANEP-Bénin), Orden ALLADATIN

- Social Watch Huguette Aplogan DOSSA



[1] In, « Le Bénin à la croisée des chemins », Document de réflexion et de plaidoyer en faveur de l’organisation d’élections crédibles, transparentes et démocratiques en 2011 et la paix au Bénin ; mars 2010, p.8.

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