Décalage salarial et déclassement social comme l’une des causes de la corruption au Bénin

Par le professeur Paulin Hounsounon-Tolin:

 

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INTRODUCTION

En bon citoyen et en bon patriote, j’écris pour que l’Etat prenne ses responsabilités afin d’éviter un soulèvement populaire. Et cette fois-ci, j’aborde la question du décalage salarial qui implique le déclassement social des policiers et surtout des enseignants. En effet, l’avènement du renouveau démocratique au Bénin débuta très tôt la volonté politique de mieux rémunérer les acteurs et les postes politiques afin d’espérer d’eux de meilleurs rendements et de les mettre à l’abri de la tentation de la corruption. Cette politique eut comme inconséquence immédiate, le décalage entre la rémunération des acteurs politiques et le salaire des fonctionnaires de l’Etat. Ce décalage entraîna à son tour le déclassement social des fonctionnaires en général et plus particulièrement celui des instituteurs et des policiers dont les salaires ne leur permettent plus de tenir leur rang de cadres moyens de notre pays. Par ailleurs, les mieux rémunérés étant ceux qui trouvent les occasions de mieux se corrompre, la gangrène de ce fléau, qu’est la corruption, ne fait que s’amplifier.

Mais si le gouvernement du docteur YAYI a pu faire quelque chose dans le sens de l’amélioration des salaires des enseignements, le gouvernement actuel semble visiblement les accabler de plus de travail en les privant du minimum de temps de vacances mondialement reconnu, sans pour au pourtant penser à augmenter leur solde mensuel. Et chose curieuse, le même gouvernement chercherait visiblement à droguer certains citoyens occupant certaines fonctions politiques de l’Etat avec des salaires dont le montant dépasse l’entendement humain dans le contexte béninois. C’est cette injustice de la politique salariale des fonctionnaires et de la rémunération des acteurs politiques, souvent opportunistes, que j’envisage d’examiner ici afin de tirer la sonnette d’alarme. Car il s’agit d’une politique qui, bien que ne datant pas d’aujourd’hui, pourrait bien conduire à un soulèvement populaire.

I / DECALAGE SALARIAL, DECLASSEMENT SOCIAL ET CORRUPTION
Le décalage est l’action de décaler et signifie écart. Le décalage salarial signifie l’écart trop élevé qui existe entre les salaires des agents permanents de l’Etats, qui sont en général des spécialistes de leur domaine respectif, et les rémunérations des acteurs et des postes politiques. Il convient de rappeler qu’au Bénin la politique de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, reste toujours un pieux vœu et semble de plus en plus ignorée des acteurs politiques de nos jours. Et souvent, ce sont les opportunistes que l’Etat nomme aux postes politiques. Quant au déclassement social, il n’est autre chose que la perte du pouvoir d’achat d’une classe sociale qui fait perdre à cette dernière son rang de citoyen d’une catégorie sociale donnée. S’agissant de la corruption, elle est le fait de se corrompre. Et se corrompre, c’est trafiquer son honneur. Un enseignant qui prend de l’argent pour donner une bonne note à un élève alors que ce dernier ne mériterait nullement la moyenne, serait de la corruption.

II/ DECALAGE ENTRE REMUNERATIONS SALARIALES, AVANTAGES POLITIQUES ET D’EVALUATION DU FRANC CFA
Comme indiqué dans l’introduction, l’avènement du renouveau démocratique au Bénin débuta très tôt par la volonté politique légitime, en son temps, de mieux rémunérer les acteurs et les postes politiques afin d’espérer d’eux de meilleurs résultats et de les mettre aussi à l’abri de la tentation de la corruption. Mais cette politique eut malheureusement comme conséquence immédiate le décalage entre la rémunération des acteurs politiques et le salaire des fonctionnaires de l’Etat. Ce décalage entraîna comme inconséquence inattendue à son tour le déclassement social des instituteurs et des policiers dont les rémunérations salariales ne leur permettent plus de tenir leur rang de cadres moyens de notre pays. Mais comme si cela ne suffisait pas, il y a eu la fameuse dévaluation du franc CFA avec sa suite l’inflation. Une mobylette BBCT coûtait avant cette dévaluation 200 000 F CFA. Après la dévaluation, son prix passa à 400 000 F CFA, du simple au double. Un pain de palmida coûtait 20 F, son prix est passé à 125 F. Le prix de l’huile d’arachide se multiplia également par deux. Et pour la première fois, le prix de l’huile de palme rivalisa avec celui de l’huile d’arachide. L’Etat n’ayant jamais une politique de contrôle des prix des produits de première nécessité et des loyers des chambres, les premières victimes du décalage salarial, du déclassement social et de la dévaluation du CFA, furent particulièrement les enseignants et les policiers. Dans le même temps, les rémunérations des acteurs et des postes politiques ne cessent de s’améliorer sans que la gangrène de la corruption ne diminue. De là, tous les moyens sont bons pour avoir le minimum de copecks à la fin du mois dont une bonne partie ira pour le payement de la facture d’électricité, qui semble ne connaître jamais de baisse même en temps de délestage important. Une autre partie ira pour le loyer. En de cas de maladie, l’on assiste parfois à de vraies humiliations des époux par rapport à leurs enfants et épouse. Il y a aussi les conflits que génère une telle situation au sein des foyers. Ce n’est jamais de gaité de cœur qu’une épouse va dire à son père « Nous n’avons rien à manger le soir … » Par Dieu ! Quoi de plus humiliant en effet pour un homme que de recourir à un prêt financier avant de pouvoir amener son enfant ou sa femme malade à un centre de santé ? Alors que des opportunistes sont nommés à des postes politiques, par la seule volonté du Chef de l’Etat, et qui mènent une vie de pacha en gagnant plusieurs fois leur salaire… Comment, oser payer des fonctionnaires mieux que les enseignants qui forment l’élite de la nation ? Comment oser comparer ceux-là à ceux-ci ? Est-ce que c’est la crétinisation du fameux « Quartier latin d’Afrique » qui conduit à cet état de chose ? C’est quand même du sacrilège !
Comment comprendre que dans un pays où un professeur titulaire des universités depuis 2015, hors classe depuis novembre de la même année, gagne annuellement (pendant 365 jours donc) à peu près 19 000 000 F CFA, l’on paye, avec l’argent des contribuables, 15 000 000 F CFA aux président et rapporteur et 10 000 000 F CFA aux membres d’une commission ayant travaillé pendant 45 jours ? Comment comprendre que dans un pays où un prof titulaire d’université gagne à peu près 2 947, 27 dollars par mois, l’on prend quelqu’un qui, à en juger par ses qualifications, ne peut pas gagner plus de 727, 27 dollars, et l’on le nomme préfet pour lui payer par mois 9 090, 90 dollars comme salaire et autres avantages liés à son poste, soit au moins trois fois le salaire mensuel d’un prof titulaire ? Dans le même temps, même avec 727,27 dollars mensuellement, un enseignant ou un policier vivant dans certaines villes de notre pays, qui n’a plus d’autres ressources, ne pourrait pas supporter le coût de la vie actuelle. Et comme si tout cela ne suffisait pas pour le malheur des enseignants du primaire et du secondaire, on décide encore d’augmenter leur temps de travail en réduisant leur temps de vacances. Et les Centrales syndicale ne bronchent plus…. Quel problème l’on veut d’ailleurs résoudre avec une telle politique ? Au lieu d’engager une politique soutenue d’usage réel des trimestres aux activités pédagogiques, on se livre à des balivernes… Nous avions trois mois de vacances, deux semaines de congés à Noël et à pâques, une semaine de congés de détente et les week-ends et jours fériés nous étaient laissés. Tous ceux qui ont connu cette période savent bien, ainsi que tous les vrais travailleurs d’ailleurs que « le travail appelle le repos et le repos appelle travail… ». Nos responsables syndicalistes et nos enseignants d’aujourd’hui, travaillaient-ils vraiment en renonçant si facilement à une partie de leurs vacances ?
L’enseignant du Primaire, comme celui du Secondaire, a besoin de repos afin de mieux préparer ses enseignements. L’enseignant du primaire, comme celui du Secondaire, a besoin de ses congés et vacances pour faire de la recherche scientifique afin d’être au point pour ses enseignements. L’enseignant du Primaire, comme celui du Secondaire, a besoin de ses congés et vacances pour faire de la recherche scientifique afin de produire les manuels d’activités pédagogiques et les manuels de lecture des classes de la Maternelle, du Primaire et du Secondaire… Comment pourrai-il y arriver si l’Etat, son employeur, ne lui accorde pas le minimum de temps de vacances internationalement reconnu ? Les enseignants de la Maternelle, du Primaire et du Secondaire sont mieux placés que ceux du Supérieur pour produire leurs manuels d’activités scolaires et pédagogiques… Et combien gagne la majorité des enseignants du Primaire et du Secondaire ? C’est hilarant ! C’est ridicule par rapport à ce que gagne un préfet ! Disons simplement que des travailleurs et syndicalistes renoncent à leurs temps de repos et, qu’on n’en sait pas ce qu’il en est, mais qu’il doit y avoir quelque chose là-dessous ! Et bien que la rentrée ait lieu si tôt cette année, les congés de Noël ne feraient même pas deux semaines… Mais est-ce que tout le monde est d’accord ? C’est la question ! Et il serait bon donc que responsables syndicalistes et l’Etat cessent de traiter les fonctionnaires de l’Etat d’idiots… Surtout que cette politique d’injustice en matière de traitement salarial ne date pas d’aujourd’hui, mais ne cesse de s’aggraver dangereusement de nos jours.

III / DECALAGE SALARIAL : UNE VIEILLE HISTOIRE D’INJUSTICE AU BENIN
Cette politique de décalage salarial, qui est un phénomène très délétère au développement de notre pays, remonte très loin dans notre histoire d’Etat moderne. Elle est la cause de la course effrénée des cadres vers les postes politiques avec ses conséquences des coups bas, de la régionalisation et de l’inefficacité de notre administration. Ce phénomène est dû à l’écart incroyable entre les prestations salariales et les primes et avantages liés aux postes politiques. Maurice Ahanhanzo-Glèlè nous rapporte un exemple resté célèbre et datant de la fin des années 1950, dans son ‘’Naissance d’Etat noir. L’évolution politique et constitutionnelle du Dahomey, de la colonisation à nos jours’’ :
«Un citoyen de situation sociale moyenne, percevant un salaire mensuel de 5 000 francs, encaisse tous les mois, -une fois élu député- la coquette somme de 120 000 francs C.F.A., l’Etat l’aide à s’acheter une voiture. On cite un cas demeuré célèbre d’un ancien secrétaire de chef de canton devenu député. Jusque-là, toute sa fortune légale ne dépassait guère 4.000 francs par mois ; représentant de la Nation, il devait percevoir mensuellement, désormais, 120.000 francs. La questure mit quelque retard à lui mandater ses indemnités. Il devait toucher plusieurs mensualités à la fois. Au vu de la masse d’argent entre les mains, il appela ses parents pour l’aider à compter les billets de banque ; les billets n’en finissant plus, notre député s’évanouit de joie.» Il ne savait pas que la députation était si payante ! Demander à ce député de ne pas nouer d’intrigues pour persévérer à son poste et s’assurer la réélection, ou lui défendre de lutter pour le retour de son parti au pouvoir, est pure folie. »
Il nous semble que la leçon à tirer de cette anecdote, cette politique de rémunération salariale au Bénin, qui est une gangrène pour le développement de notre Bénin, et qui incite les enseignants et les policiers à se débrouiller par tous les moyens afin d’avoir le minimum nécessaire à la fin de chaque mois, – puisque débrouiller ne serait nullement voler d’après le groupe musical le Tout-puissant Poly-rythmo-, serait de notre point de vue, la mise en pratique immédiate d’une politique qui fera que la fonction exercée rapporte beaucoup plus que les indemnités et les avantages liés aux postes politiques.

CONCLUSION
Le décalage entre la politique salariale des fonctionnaires de l’Etat et celle de rémunération des postes politiques procèdent d’une injustice de plus en plus flagrante qu’il convient de corriger et d’y remédier à temps. Aussi, dans un pays où un professeur d’université titulaire hors classe ne gagne que 2 947,27 dollars par mois, prendre quelqu’un, -qui ne pouvait pas gagner 727, 27 dollars et le nommer préfet pour lui payer par mois 9090,90 dollars par mois, relève-t-il de l’insulte aux agents permanents de l’Etat, d’une part, et d’autre part, constitue-t-il de droguage d’un tel préfet qui, tôt ou tard, se comportera en véritable drogué et soulard et qui se livrera à des casses à droite, à gauche, devant et derrière dans la cité. Dans un pays où les salaires des enseignants, des infirmiers, des ingénieurs suffit à peine pour l’essentiel, il ne serait pas responsable de la part de l’Etat de continuer d’accroître ce décalage de salaire des agents permanents de l’Etat et de rémunération des postes politiques. Ce décalage qui crée de l’opulence chez les uns et l’appauvrissement chez les autres, peut conduire à un soulèvement général, qu’un citoyen normal dans des conditions normales, ne peut jamais souhaiter, encore moins laisser advenir. Surtout que l’on décide maintenant d’augmenter le temps de travail des enseignants en réduisant considérablement leur temps de vacances, – comme si l’on ignorait que le travail appelle le repos et que le repos appelle le travail-, l’on devrait également chercher à augmenter leur salaire puisqu’ils n’ont plus droit au temps minimum de vacances mondialement reconnu pour les enseignants. Le mieux aurait été de procéder à la saine gestion du temps scolaire en veillant qu’il soit effectivement consacré aux activités pédagogiques. Il est à craindre d’ailleurs que le temps gagné ne complète le temps des affaires dans les établissements avec usage des bureaux, du courant électrique, des ordinateurs et autres, par les mêmes personnes qu’on retrouve au BEPC, au BAC, au BTS, aux différents colloques etc., qu’effectivement employé pour les activités pédagogiques.
Et mon intention est que le gouvernement de la rupture comprenne que le travail appelle le repos et que le repos appelle le travail d’une part, et d’autre part, prenne toutes les mesures possibles pour accorder aux travailleurs leurs temps normal de vacances selon les normes internationales et de mettre fin immédiatement aux salaires fantaisistes payés à certains acteurs politiques.
Par ailleurs, s’exprimer en termes de « Bénin révélé », dans une séquence de temps donné, fixé, c’est se méprendre totalement sur ce qu’est qu’une nation en tant que quelque chose de matériel, d’immatériel, mais voire corporel au sens stoïcien du terme. Il fallait plutôt parler de « Révélation du Bénin». Car aucune génération du Bénin, encore moins le programme d’action ou le projet de société d’un gouvernement, ne saurait entièrement révéler les richesses et les potentialités inépuisables de notre nation sur les plans historique, culturel et touristique. Chaque génération ne pourra qu’en révéler une partie. Il est souhaitable donc que « Le conseil des ministres, qui traite de ces questions d’importance sociale et politique capitale soit, là où toutes les matières grises de notre nation censées défendre l’intérêt de la patrie se trouvent » ou du moins aient été consultés au paravent à propos de tels sujets.

Paulin HOUNSOUNON-TOLIN,
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Dr en Sciences de l’éducation de Montpellier3, Paul Valéry,

Professeur titulaire des universités en Philosophie antique et Antiquité tardive.

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RELAIS : Charles BONOU

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