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CONVENTION PATRIOTIQUE DES FORCES DE GAUCHE (CPFG)
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A PROPOS DU RETRAIT DE DROIT DE GREVE AUX MAGISTRATS
Réponse aux Kato ATITA, Alao SADIKOU et consorts
Par Ph. Noudjènoumè
Propos liminaires
Le débat sur le retrait ou non du droit de grève aux magistrats du Bénin n’a pas fini d’agiter l’opinion publique nationale. On peut seulement dire qu’il connaît une nouvelle phase avec l’annonce de la saisine de la Cour Constitutionnelle par les « majoritaires perdants » de l’Assemblée Nationale. Mais à cette étape, il est nécessaire de faire le point.
La principale chose à souligner est que notre peuple vient d’infliger une défaite cinglante à l’autocratie de Boni YAYI et à ses thuriféraires du genre de Gbadamassi, Saka Lafia, Chabi Sika, Débourou, et autres Akofodji de l’Assemblée Nationale. Oui, il s’agit d’une grande victoire et cette victoire n’est due qu’à la mobilisation de toutes les couches populaires pour s’opposer à cette imposture. Je veux ici saluer la mobilisation des magistrats organisés au sein de l’UNAMAB en premier lieu, puis de l’ensemble des travailleurs, des jeunes, des défenseurs des droits de l’homme, des démocrates engagés à titre individuel dans ce combat, le Comité de Lutte de l’Ouémé-Plateau etc. qui voyant tous l’incendie allumé sur la maison justice se dépêche de l’éteindre pour qu’il n’atteigne pas leurs propres cases. C’est cette mobilisation qui a contraint même le Président de l’Assemblée nationale- Mathurin NAGO- à battre en retraite malgré ses récriminations contre les magistrats quelques jours auparavant.
Au cours du débat sur le retrait ou non du droit de grève aux magistrats, bien des choses ont été dites tant par les défendeurs du droit de grève des magistrats que par ses pourfendeurs. Mais ce qui nous importe ici c’est de relever bon nombre d’affirmations gratuites, bon nombre de contre-vérités débitées avec suffisance et auto-satisfaction surtout par les godillots du pouvoir de YAYI Boni qui se veulent par ailleurs théoriciens de la question tels que les Avocats du Palais que sont Kato ATTITA et Sadikou ALAO.
I - LES CONTRE-VERITES SUR LE DROIT DE GREVE DES MAGISTRATS
A la question posée à ces deux clercs du Palais de la Marina, Me Kato ATTITA et Sadikou ALAO de savoir si les magistrats peuvent avoir le droit de grève, leur réponse, qui fuse de façon péremptoire, est « non ». Kato ATTITA qui, pendant les jours précédant le débat au parlement, eut à occuper le plateau de la télévision nationale- et pour cause !- , justifie sa réponse par l’argumentaire suivant : Les magistrats du Bénin ne doivent pas avoir le droit de grève parce que :
1°- En France les magistrats ne jouissent pas du droit de grève
2°- Le droit de grève s’oppose aux droits des justiciables
3°- Le droit de grève s’oppose au droit au développement
4°- En conséquence, le parlement a le droit de retirer aux magistrats le droit de grève.
ALAO Sadikou ira jusqu’à nier l’évidence que « Le droit de grève n’est pas reconnu aux magistrats dans la Constitution. La Constitution affirme les droits des citoyens et les libertés essentielles ». Comme si les magistrats ne sont pas des citoyens. Cela ne l’empêche pas de déclarer quelques lignes plus loin en se contredisant que « c’est une erreur historique dans le débordement de l’octroi de certains droits et libertés qu’on ait donné le droit de grève aux magistrats » (La Nouvelle Tribune du mercredi 09 Juillet 2014).
Rappelons le contenu de la « proposition de loi portant modification de l’article 18 de la loi n° 2001-35 du 21 février 2003 portant statut de la magistrature ».
« Les fonctions judiciaires sont incompatibles avec tout mandat électoral ou politique. Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire. Les magistrats sont inéligibles aux assemblées politiques.
Les magistrats, même en position de détachement, n’ont pas le droit d’adhérer à un parti politique. Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. Les magistrats ne peuvent se constituer en syndicat, ni exercer le droit de grève. Il leur est interdit d’entreprendre toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions ou d’y participer.
Tout manquement par un magistrat aux dispositions du présent article est sanctionné par la mise à la retraite d’office ».
C’est dire qu’ici non seulement le droit de grève est concerné mais toutes les autres libertés fondamentales du citoyen-magistrat. Il est vrai qu’au regard du caractère excessif de cette proposition de loi, les zélateurs les plus virulents sur la question tels Chabi Sika Karim esquissent quelque recul tout en gardant l’essentiel à savoir l’interdiction du droit de grève. C’est au regard de cela qu’ici je ne m’attarderai surtout que sur la question du retrait de droit de grève aux magistrats tout en considérant les autres aspects comme superfétatoires.
Ce qui semble occulté par tous ceux qui participent au débat – que ce soit les partisans ou les opposants au droit de grève des magistrats- c’est la question de principe que je résume ainsi : Les députés du Bénin, aux termes de la Constitution du 11 décembre 1990, ne peuvent pas voter le retrait du droit de grève aux magistrats.
II- L’INDEPENDANCE DU POUVOIR JUDICIAIRE A LA FOIS A L’EGARD DU POUVOIR LEGISLATIF ET DU POUVOIR EXECUTIF, LA SEPARATION DES POUVOIRS, INTERDISENT TOUTE POSSIBILITE POUR LE PARLEMENT DE RETIRER LE DROIT DE GREVE AUX MAGISTRATS.
Dans mon adresse aux députés intitulé « A propos de la proposition de loi portant retrait du droit de grève aux magistrats » en date du 24 Juin 2014, je disais ceci : « L’article 125 de notre Constitution dispose : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir Législatif et du Pouvoir Exécutif. Il est exercé par la Cour suprême, les Cours et Tribunaux créés conformément à la présente Constitution». Si en dépit de cette disposition formelle, les députés- pouvoir législatif- peuvent, par une loi modifier substantiellement les attributions –droits et devoirs- du pouvoir judiciaire, où serait alors l’indépendance de celui-ci ? Que deviendrait alors la séparation des pouvoirs ? A cela s’ajoute les dispositions des articles 25 et 31 de la Loi Fondamentale.
L’article 31 notamment dispose en ces termes : « L’Etat reconnaît et garantit le droit de grève. Tout travailleur peut défendre dans les conditions prévues par la loi, ses droits et ses intérêts soit individuellement soit collectivement ou par l’action syndicale. Le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi ». En disposant comme il l’a fait, le constituant béninois n’a nulle part fait une exception pour ce qui concerne les magistrats. Si telle était sa préoccupation qu’est-ce qui empêcherait celui-ci de le spécifier formellement ? D’ailleurs notre Constitution a déjà prévu les cas d’incompatibilités, c’est- à-dire les fonctions qui sont incompatibles avec la politique ; c’est le cas des militaires.
C’est dire que le parlement est incompétent pour légiférer dans le sens de la suppression pure et simple de ce droit constitutionnel accordé à tout travailleur. Sa seule compétence se limite à réglementer ce droit.
Il en est de même de la Cour Constitutionnelle qui est un organe de la Constitution et n’est pas au-dessus de celle-ci. Elle est incompétente pour déclarer la suppression du droit de grève aux magistrats sous prétexte que cela n’existerait pas en France, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, etc.
La seule possibilité aujourd’hui existante si l’on veut arracher le droit de grève aux magistrats est de procéder à une révision de la Constitution.
A ce propos les fausses références à l’exemple français ou d’ailleurs ne tiennent ni en droit ni en contexte politique de chacun de nos pays.
III- L’EXEMPLE FRANÇAIS N’EST PAS OPPOSABLE EN DROIT AU BENIN
Lorsque l’on lit ou écoute les thuriféraires du pouvoir de YAYI Boni notamment les deux clercs du Palais de la Marina, on se demande- lorsqu’on est quelque peu averti de la chose constitutionnelle- s’ils ont lu réellement la Constitution française et connaissent l’expérience française.
Que dit la Constitution française ? Le titre VIII de cette Constitution qui traite de la chose a pour formulation « De l'autorité judiciaire ». Et l’article 64 dispose : « Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature. Une loi organique porte statut des magistrats.
Les magistrats du siège sont inamovibles. »
En reprenant l’article 125 de notre Constitution qui dit : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir Législatif et du Pouvoir Exécutif. Il est exercé par la Cour suprême, les Cours et Tribunaux créés conformément à la présente Constitution», on voit bien la différence.
La Constitution française utilise l’expression « Autorité judiciaire » et non « Pouvoir judiciaire ».
Pour un constitutionnaliste, la différence est énorme. Et on ne lit pas dans la Constitution française les formulations telles celles de la Constitution béninoise. Que dit la doctrine française sur le sujet ? « La Constitution (française) définit l’existence d’une autorité judiciaire et non pas d’un pouvoir judiciaire. La différence dans la terminologie n’est pas simplement une question de pure forme ; elle correspond à un choix de principe tout à fait important. La constitution de 1958 ne fait pas sienne la conception libérale classique de la distinction des trois fonctions dans l’Etat (la législative, l‘exécutive, la judiciaire ou juridictionnelle) exercées chacune par un pouvoir autonome parfois indépendant…La Constitution ne définit pas un pouvoir judiciaire qui soit placé sur le même plan que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Il existe une autorité judiciaire qui est assurée par l’attribution aux magistrats d’un certain nombre de garanties qui les mettent à l’abri des interventions venant des autorités gouvernementales » (Confère Dimitri Georges Lavroff « Le droit constitutionnel de la Vème République », Ed. Dalloz 1995, page 504).
On peut comparer chez nous, le statut de la Justice en France au statut de la Haute Autorité de l’Autorité de l’Audio-visuel et de la Communication(HAAC)
C’est dans cette logique que fut prise en France l’Ordonnance organique du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature dont l’article 10 dispose : « Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire.
« Toute manifestation d'hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions.
« Est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions. ». Il faut souligner là aussi qu’aucun député n’a délibéré pour prendre de telles dispositions ; il s’agit ici d’une Ordonnance – une ordonnance organique -c’est-à-dire un acte pris par le Chef de l’Etat, le général de Gaulle pour réglementer une institution constitutionnelle pendant que n’existaient ni Parlement ni Conseil Constitutionnel.
Que le général De Gaulle- en pleine guerre d’Algérie-, ait taillé une Constitution à sa mesure, une Constitution d’un genre particulier avec une suprématie absolue du Président de la République sur toutes les autres institutions constitutionnelles, tout constitutionnaliste le sait. Il est pour le moins ridicule de nous l’opposer alors que formellement les textes disent des choses dissemblables.
Par rapport à cela, peut-on dire que le Bénin est plus démocratique que la France ? Cela dépend de l’angle où on se place, du contexte de chacun de nos pays et des rapports les plus adéquats à entretenir entre gouvernants et gouvernés. En tous cas ces questions sont souvent l’objet de débats entre les constitutionnalistes français et béninois.
IV- L’EXEMPLE FRANÇAIS N’EST PAS TRANSPOSABLE QUANT AU CONTEXTE.
J’ai dit plus haut que les droits sur la grève constitués en France comme au Bénin sont différents. Mais on doit dire que les contextes de chacun de nos deux pays sont aussi différents. La tradition comme la pratique françaises ne permettent pas des instrumentalisations aussi grossières de la justice telles que celles auxquelles nous assistons au Bénin. C’est dans ce sens qu’on observe toutes les réformes en cours allant toutes dans le sens davantage d’indépendance de la justice en France. L’un des éléments principaux concerne le Conseil Supérieur de la Magistrature qui est présidé non par le Président de la république ou le Ministre de la Justice mais par les Magistrats eux-mêmes de siège et de parquet et qui nomme ou propose à nomination leurs collègues et suit leur carrière.
Enfin au contraire de la proposition de loi anti-grève des magistrats, les magistrats français jouissent de la liberté syndicale, ont le droit de grève- non pas sous la forme que l’on a au Bénin, mais avec la seule obligation de l’observation d’un service minimum. Ce qui se traduit par le report des audiences non urgentes ou dans lesquelles il n’y a pas d’enjeu pour la liberté.
Au Bénin, dans quel contexte nous situons-nous ? Nous avons vu dans maintes affaires des juges décider dans le sens non voulu par le Chef de l’Etat. On peut citer : affaire Talon, affaire Vodonon, affaire Amoussou Constant. Nous avons vu dans ce pays des magistrats comme le juge Houssou Angelo qui a dû prendre la clé des champs pour sauvegarder sa vie menacée par le pouvoir. Alors on connaît les motivations de la loi-anti-grève. Le pouvoir de YAYI Boni veut gommer complètement le contenu de l’article 125 de notre Constitution. Autrement dit, faire directement du pouvoir judiciaire le pendant immédiat de l’Exécutif.
Certes la grève, surtout si elle est prolongée et répétitive comme c’est le cas actuellement avec les magistrats, cause des préjudices énormes tant aux citoyens qu’aux affaires. Tout comme toute grève d’ailleurs qui perturbe la continuité des services publics. Mais la responsabilité entière ici revient au Gouvernement ; car les objectifs que celui-ci vise- à savoir la suppression de l’indépendance du pouvoir judiciaire- créerait encore plus de dommages aux citoyens que la situation actuelle.
Le Président de la République procède à des nominations, en violation des textes réglementant la Corporation. Il nomme comme bon lui semble, des Magistrats à ordre où le moins gradé et le moins compétent doit diriger des plus gradés et compétents sans aucune justification ni raison de déontologie qui régit la profession. Autrement dit, il veut des « magistrats-patriotes » pour dicter les décisions de justice. Et gommer ainsi l’indépendance de la justice et le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. C’est l’enjeu du conflit en cours qui s’exprime par les grèves en milieu judiciaire. Au lieu de regarder la cause, on veut s’attacher seulement aux conséquences.
Après les douaniers, le pouvoir veut simplement aller aux magistrats, et après comme le veut le frère Melchior, Albert Tévoédjrè, ce sera le tour des médecins, après celui des enseignants et enfin, tout fonctionnaire et agent civil de service public. Avec cela YAYI Boni va instaurer au Bénin la paix des cimetières avec la mort de toutes contestations et en avant pour un pouvoir à vie pour le Monarque.
La théorie qui soutient une telle vision s’appelle « dictature de développement ». Au nom du développement on doit mettre entre parenthèse les libertés fondamentales, les sacrifier. C’est le refrain que reprennent les clercs de la présidence tels Kato ATTITA et Sadikou ALAO. D’où leurs vociférations sur la grève qui serait contraire au droit de développement.
Si de telles théories ont pu prospérer sous certains cieux avec des fortunes diverses, l’on ne saurait l’appliquer dans un contexte où le premier destructeur du développement au Bénin, c’est le pouvoir lui-même avec tous les scandales et actes anti-développement qui sont légion sous ce régime. On ne saurait penser à un quelconque développement- sous dictature- dans un pays où le Pouvoir ne respecte même pas les règles et les garanties d’épanouissement du capital, où les capitalistes et hommes d’affaires du pays sont pourchassés au profit de l’étranger, où on peut décider de raser du jour au lendemain la construction qui a déjà englouti plus de 12 milliards, etc.
Notre peuple s’oppose à la « dictature du développement » qui n’est que l’expression de l’instauration d’un pouvoir tyrannique et personnel favorable au pillage du pays par un Autocrate et le clan attaché à sa personne. Notre peuple œuvre tous les jours à instaurer un pouvoir où seront conciliés et démocratie et développement accéléré capitaliste de notre pays. Cela ne saurait se réaliser sans l’éradication de la corruption et de son corollaire, le règne de l’impunité. Cela passe par le contrôle exercé par les travailleurs sur la gestion de leur administration et de leur entreprise publiques. Cela passe aussi par la formation adéquate des producteurs béninois pour la transformation du pays et cela nécessairement en les langues nationales, Cela passe enfin par la promotion de la production nationale et la protection des opérateurs économiques nationaux. Les travailleurs et les peuples élaborent tous les jours leurs propres droits conformes à leurs traditions, à leur histoire et leur épanouissement sans mimétisme et copiage servile de l’expérience d’autres peuples.
Je résume mes propos.
Les députés de l’Assemblée Nationale ne sont pas compétents pour supprimer le droit de grève aux magistrats.
La Cour Constitutionnelle elle-même n’est pas compétente pour arracher le droit de grève aux magistrats. Sauf à procéder à une révision constitutionnelle.
Enfin la solution. La solution appropriée, appelée par le mouvement revendicatif magistral actuel, réside dans le pouvoir à donner aux magistrats d’élire eux-mêmes les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Je vous remercie
Cotonou le 13 Août 2014
Philippe NOUDJENOUME
Président de la Convention Patriotique des Forces de Gauche
Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin
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